Si le canal du Midi m’était conté – L'Officiel du Canal du Midi

Si le canal du Midi m’était conté

Après Versailles, ce fut le projet le plus pharaonique du règne de Louis XIV : 126 ponts, 55 aqueducs, 7 ponts-canaux… plus de 300 ouvrages d’art rythment le plus ancien canal d’Europe toujours navigable. Il fête cette année ses 350 ans : le prétexte pour une découverte bucolique au fil de l’eau.

Relier l’Atlantique à la Méditerranée, l’idée n’était guère nouvelle. Déjà, sous l’empereur Auguste, on ébauche l’idée d’un canal pour éviter le détroit de Gibraltar et ses fameuses Colonnes d’Hercule. Mais il faut attendre Louis XIV et l’aval de Colbert pour que, en octobre 1666, soit signé l’édit autorisant le creusement du canal des Deux Mers. A l’origine de ce dessein colossal ? Pierre-Paul Riquet, même pas un ingénieur, même pas un érudit – il ne connaît ni le grec ni le latin – mais un homme d’affaires ambitieux qui puise sa fortune dans la levée des impôts. Avant d’entamer le voyage sur le canal, première étape à Toulouse, histoire de contempler le projet à son origine, là où s’embrassent le canal de Garonne et celui du Midi. L’un court vers l’Atlantique, l’autre serpente jusqu’à la Méditerranée, comme en témoigne la fresque allégorique en marbre de Carrare sur le bas-relief des Ponts-Jumeaux. Une fois ce tracé en tête, on peut alors embarquer à l’écluse de Négra, à une demi-heure de la Ville rose. Ou bien on peut choisir de remonter le canal, comme en son temps Thomas Jefferson, en partant du pimpant port de Sète. Les bases nautiques sont nombreuses, qui jalonnent les 240 kilomètres du canal. Pour l’heure, le choix se porte sur Port-Lauragais, en direction de la Méditerranée.

Piloter un bateau sans permis nécessite juste un peu d’adresse et une complicité avec le reste de l’équipage pour assurer une navigation qui se déroulera à la vitesse maximale de 8 km/h. Avant de larguer les amarres, un détour par le barrage de Saint-Ferréol s’impose : le Musée du canal du Midi retrace l’épopée. Là, toute la complexité de l’ouvrage saute aux yeux, entre obstacles géographiques et autres problèmes techniques. L’ingéniosité et l’obstination de Riquet n’avaient pas de limite ; il a été jusqu’à creuser une rigole d’essai – dont certains vestiges sont encore visibles dans la Montagne Noire – pour prouver à Colbert la viabilité du projet. Riquet a près de 60 ans lorsque démarrent les travaux. Son obsession : achever son œuvre au plus tôt, quels que soient les sacrifices. Il engage jusqu’à 12 000 hommes, leur assure un salaire enviable, le logement et offre même les arrêts maladie. Il mourra, totalement ruiné, le 1er octobre 1680, quinze ans plus tard et huit mois avant l’inauguration du canal royal du Languedoc, que la Révolution française rebaptisera canal du Midi. Mais son pari insensé est gagné et ses héritiers rebâtiront rapidement sa fortune.
Gastronomie et trésors médiévaux

Castelnaudary, son présidial, sa collégiale, ses halles… La capitale du cassoulet mérite plus qu’une simple halte culinaire. Le jour tombe, il est temps de s’amarrer pour la nuit car la navigation est interdite sur le canal après le coucher du soleil. Petit-déjeuner tranquille sur le pont ; frais et dispos pour franchir les quatre écluses de Saint-Roch. Une entreprise qui requiert un peu d’huile de coude et beaucoup de patience. L’occasion pour les enfants de faire du vélo le long du chemin de halage…

La formidable citadelle de Carcassonne est en vue. Entre la visite du château médiéval, la basilique romane et le tour des remparts, la journée s’écoule trop vite. Plus paisible, Trèbes révèle le trésor de son église – les 320 corbeaux de la charpente à têtes d’animaux ou d’humains – et un port où se croisent des gabares en goguette. Nouvelle pause à Puichéric. Non que l’écluse de l’Aiguille soit difficile à enfiler, mais pour s’amuser des œuvres d’art fabriquées par Joël Barthes, un éclusier à l’imagination prolixe. Des sculptures de métal ou de bois s’éparpillent ainsi tout autour de sa maison. Un coup de cœur ? Cela tombe bien, elles sont à vendre. Naviguer sur le canal du Midi, c’est perdre la notion du temps, assumer de musarder sans contraintes. On s’accorde une dégustation de vin du Minervois à Homps, hameau joufflu jadis célèbre pour sa commanderie des chevaliers de Malte ; on chasse avec gourmandise les mûres le long de la berge… Puis voici le pont-canal du Répudre, tout de pierres blondes. Une plaque stipule que ce fut le tout premier du genre construit en France, en 1676. D’aucuns murmurent que l’ouvrage de briques rouges de Négra lui est antérieur. On s’y attarde pour prendre quelques photos des maisons colorées de Paraza avant de rejoindre le château. Riquet habita durant quelque temps dans ce qui est désormais un beau domaine viticole.

Doté d’un pont de pierre avec sa voûte en dos d’âne – si typique de la première période du canal –, le port du Somail plonge le visiteur dans un tableau de Sisley. Les bateliers y logeaient, à l’époque de la construction. C’était aussi la « couchée », étape pour la nuit des passagers de la barque de la poste en provenance de Sète ou de Toulouse. Somail, c’est un peu la coqueluche parmi les villages du trajet. On y trouve une chapelle de mariniers où l’on célébrait la messe à l’arrivée et au départ des bateaux, une auberge xviie qui abrite encore des chambres d’hôtes, une glacière où l’on entreposait jusqu’à l’été d’énormes blocs de glace en provenance de la Montagne Noire, une incroyable librairie dotée de près de 50 000 livres, une péniche-épicerie et un improbable Musée de la chapellerie avec plus de 6 000 couvre-chefs.
Ecluses spectaculaires

Puis vient le tunnel de Malpas. Un simple tunnel qui représente pourtant une prouesse. Creusé sous une colline de tuf sablonneux, il permet de maintenir le même niveau au-dessus de la mer (31,35 mètres) sur un trajet de 54 kilomètres sans écluse. Le projet était tellement fou que Colbert ordonna l’arrêt des travaux. Riquet s’entêta et fit creuser les 173 mètres sous l’oppidum d’Ensérune en une semaine ! Ces 54 kilomètres, entre les écluses d’Argens et celles de Fonsérannes, déroulent un paysage presque impudique tant le regard porte loin ; par temps vraiment clair, dit-on, on aperçoit le massif du Canigou.

Sur un coup de tête, on visite la collégiale Saint-Etienne de Capestang et, à Colombiers, on admire les jardins du presbytère. Imposante vigie gothique, la cathédrale Saint-Nazaire annonce Béziers, ville natale de Riquet. Peut-être la plus impressionnante des étapes, à défaut d’être la plus tranquille. Car avant d’en découvrir l’architecture, il faut franchir six des neuf écluses de Fonsérannes, sans conteste l’ouvrage majeur du canal et le plus ébouriffant. Ici, le spectacle est partout. Au niveau des écluses elles-mêmes, véritable escalier d’eaux bouillonnantes, mais aussi, pour les badauds agglutinés, dans les manœuvres répétées à l’envi par chaque embarcation pour grappiller les 21,50 mètres de dénivelé sur 300 mètres de long. Sans compter l’imposant pont-canal qui surplombe l’Orb. En haute saison, une soixantaine de bateaux les franchit chaque jour. 19 heures, trop tard pour passer ? Une bonne excuse pour savourer, à l’ombre de la nuit, un apaisant silence et compter parmi les premiers à manœuvrer le lendemain, pour enchaîner la montée, facile mais un tantinet sportive. Et surtout, étonnamment rapide : trois-quarts d’heure suffisent – une demi-heure pour ceux qui descendent. De l’avis de tous, passer Fonsérannes compte parmi les meilleurs souvenirs de moussaillons amateurs.

Déjà se profilent Vias, le pont des Trois Yeux et Agde avec son écluse où les bateaux tournent en rond, en attendant sagement le moment d’emprunter l’un des trois embranchements. Un rond-point nautique en quelque sorte. On prend la sortie vers l’étang de Thau, pour naviguer le long des parcs à huîtres. Le prochain déjeuner est tout trouvé. Il est temps de quitter le navire.

5 choses que l’on ne sait pas sur le canal du Midi

01. Pierre-Paul de Riquet fit tout d’abord construire une « rigole d’essai » de 70 kilomètres afin de convaincre Colbert qu’il était possible de collecter l’eau provenant des ruisseaux alentour.

02. Le futur président américain Thomas Jefferson, alors ambassadeur en France, embarqua sur le canal du 13 au 21 mai 1787. Son but ? Goûter aux vins de la région, mais, surtout, étudier le canal pour en créer un similaire entre le fleuve Potomac et le lac Erié.

03. Le canal d’Argens a dû élargir ses écluses de 30 à 38 mètres pour passer aux normes Freycinet (taille des péniches homonymes). Les travaux eurent lieu entre 1977 et 1980… juste avant que le trafic de fret ne soit abandonné.

04. Une station du métro parisien porte le nom du génial créateur du canal.

05. Le comédien Bernard Lecoq a interprété le rôle de Pierre-Paul Riquet dans La Fabuleuse Histoire de Monsieur Riquet, un film documentaire signé Jean Périssé, sorti en 2014.

Pascale Missoud

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