Le Canal du Midi, chef-d’œuvre en péril ? – L'Officiel du Canal du Midi

Le Canal du Midi, chef-d’œuvre en péril ?

2016, Sète commémore dans la fête le 350e anniversaire de la création de son port;
2016, c’est aussi le 350e anniversaire de l’Edit ordonnant la construction du canal de communication des mers en Languedoc, rebaptisé canal du Midi; 2016, c’est l’An Ier de la nouvelle région qui aura à réhabiliter, à dynamiser et à promouvoir l’immense chef-d’oeuvre de Pierre Paul Riquet, inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco il y a juste 20 ans.

Une couverture végétale sensible aux maladies et au vieillissement.

Depuis une demi-douzaine d’années, le canal du Midi fait l’objet d’un intérêt inhabituel pour cette voie d’eau historique. La raison ? Une sale bestiole infeste ses platanes qui, inexorablement, meurent et doivent être abattus.
La presse se fait abondamment l’écho de l’émoi ressenti à la vue du canal dépouillé de ses hautes frondaisons qui lui attiraient une vénération quasi universelle. La consternation s’est exprimée à tous les niveaux de l’Etat. Le chancre coloré, véritable malédiction, menace un élément exceptionnel de notre patrimoine national. Faute d’espoir de guérison à brève échéance nous allons assister à la fin des géants du canal.
On ne peut imaginer le canal sans ses platanes. Et pourtant ses francs-bords n’ont pas toujours été arborés. Il fallut attendre 1725, soit 50 ans après sa mise en service, pour voir les premières plantations. Elles se développèrent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les essences étaient choisies en fonction de leur spécificité (nature des sols, climat, exposition, rapidité de croissance), et de leur intérêt économique (bois d’œuvre, bois de chauffage, feuilles). Elles présentaient une grande variété. En 1817, le peuplier d’Italie était l’arbre roi du canal, suivi du frêne, du chêne et de l’orme. Mûriers, saules, érables, conifères, oliviers, fruitiers étaient aussi présents. Les premiers platanes apparurent en 1780. Ils furent systématiquement introduits sur quasiment tout le linéaire du canal à partir de 1830. Leur chevelure verte, brune ou grise selon les saisons. constituait le marqueur infaillible du canal serpentant de Toulouse à Agde.

Bief de Puichéric

C’est cette vision que nous aimerions voir perdurer. Aujourd’hui, nous sommes les témoins de leur disparition. Elle nous ramène 300 ans en arrière. Bientôt, comme au tout début de son histoire, le canal ne sera plus qu’un long chemin d’eau, enserré entre deux terriers ou francs-bords massifs dégarnis, peu visible dans le paysage.
Est-ce un drame ? Certainement pas. Une déception sûrement pour ceux qui ne l’imaginent pas sans l’alignement tortueux de quelques dizaines de milliers de sujets figés dans un garde-à-vous ennuyeux par son uniformité. L’ombre épaisse de ces vieux platanes faisait le bonheur des randonneurs pendant les journées caniculaires de l’été.
Une page est tournée. Que l’on se rassure ! Avec le temps, les nouvelles plantations, réalisées et à venir, redonneront à notre canal la diversité passée, inconnue de nous tous, et une cohérence esthétique inédite offerte aux générations futures.

Les séquelles d’un long désintérêt.

Le joyau de notre patrimoine est-il menacé par la disparition des platanes ? Je ne le pense pas. Ils ne sont que l’écrin qui cache le monument. Le choc visuel de leur abattage détourne notre attention de l’état préoccupant du chef-d’œuvre créé par Pierre Paul Riquet il y a 350 ans. L’intérêt récent pour la disparition des platanes efface le long désintérêt pour le canal lui-même et ses ouvrages.

Comment en est-on arrivé là ? Le chemin de fer puis la route ont privé cette voie d’eau de toute activité commerciale. Les barques lourdement chargées ont été remplacées par les pénichettes de la navigation de plaisance. Depuis lors, l’absence de gouvernance a favorisé la recherche désordonnée d’une mise à niveau pour un sursaut économique au mépris de la protection de l’ouvrage.

Comment a-t-on pu mépriser à ce point ce chef-d’œuvre du XVIIe siècle, immense ouvrage hydraulique, toujours fonctionnel qui est à lui seul un véritable musée vivant de plein air ouvert à la curiosité de tout un chacun, librement, gratuitement. Certes, on peut découvrir ses nombreuses merveilles architecturales ou techniques ; encore faut-il affronter les difficultés du déplacement sur le chemin de halage envahi d’herbes folles et parsemé d’obstacles cachés. Trop peu de panneaux d’information éclairent les curieux sur le rôle ou la place d’un ouvrage dans le grand système de la gestion des eaux.

Le laisser-aller a prévalu. Au fil des ans, le canal est devenu l’égout naturel où se déversent sans contrôle les eaux usées et les déchets de marins d’eau douce et de promeneurs peu soucieux de l’environnement. Le plaisir esthétique est souvent pollué par la présence de vieilles barques pourrissantes, à demi-immergées, abandonnées par des propriétaires inconnus.

Chaussée d’Orbiel

Quelques exemples. La magnifique chaussée d’Orbiel, à Trèbes, sur laquelle les chevaux du halage franchissaient autrefois la rivière, est envahie par une végétation arbustive dont les racines descellent les pierres mises en place au XVIIe siècle (photo 2). Le splendide bâtiment de l’administration dit « hôtel Riquet » à Agde attend depuis longtemps la restauration qui lui est due. On a amputé le canal de ses deux extrémités, aux Ponts Jumeaux à Toulouse, pour permettre le passage de voies de circulation automobile, et tout récemment à Béziers. L’écluse ronde d’Agde a été irrémédiablement défigurée.

Les dégradations empirent chaque année. Elles entraînent l’ouvrage vers une ruine proche. Le dernier platane n’a pas encore disparu, la grande misère du canal nous saute déjà aux yeux.

Un enjeu à la hauteur de la Région
2016, deux anniversaires, un avènement.

Cette année particulière devrait être l’occasion d’une prise de conscience collective.

Le canal fête son 350e anniversaire. Le 7 octobre de l’an de grâce 1666, Louis XIV signait à Saint-Germain-en-Laye l’Edit pour la construction d’un Canal de communication des Deux Mers Océane et Méditerranée, pour le bien du Commerce et autres avantages y contenus. Notre région lui doit l’essor de son développement économique. Ne serait-il pas opportun de manifester officiellement notre reconnaissance ? L’édition d’un timbre-poste commémoratif serait un signe positif.

L’ouvrage de Riquet, tel un tableau de maître amoureusement conservé dans un musée, mérite lui aussi protection, promotion, valorisation. Il est un élément, et non des moindres, de notre patrimoine architectural et culturel.

Autre anniversaire. Il y a vingt ans, en décembre 1996, la convention de l’UNESCO inscrivait le canal du Midi sur sa prestigieuse liste du Patrimoine mondial de l’Humanité. Cette promotion a favorisé un engouement pour la voie d’eau mais, inexplicablement, n’a pas fait naître le sursaut d’orgueil qui aurait porté l’ouvrage à l’admiration d’un large public. On aurait aimé voir les institutions concernées prendre à bras le corps la réhabilitation et la promotion du monument classé. Leurs obligations à l’égard de l’ouvrage ont-elles été remplies ? Le résultat s’étale tristement sous nos yeux. Il est encore temps d’éviter le déclassement.

Néanmoins, des associations n’ont pas attendu cette année particulière pour œuvrer modestement mais efficacement à la promotion du canal et à la reconnaissance de son illustre créateur. Je citerai Riquet et son canal dont plusieurs membres ont publié récemment des ouvrages majeurs sur le personnage ; Clairsud Productions qui, à l’initiative de l’association Un film sur Riquet, a réalisé un documentaire de qualité et se lance cette année dans le tournage d’un film de fiction. La Barque de poste 1818 incite les communes riveraines à s’approprier la voie d’eau pour redonner du sens au canal de Riquet.

la fabuleuse histoire de Monsieur Riquet

Ces activités, aussi variées qu’utiles, créent un mouvement d’intérêt et de curiosité mais elles ne peuvent suppléer le rôle des institutions officielles qui ont en charge nos biens patrimoniaux.

2016, c’est l’An I de notre nouvelle grande région. Languedoc, Occitan, sont les liens historiques et linguistiques qui unissent les deux composantes de l’ancienne province qui s’étendait de Toulouse jusqu’au Rhône. Le canal de la jonction des mers en Languedoc, rebaptisé canal du Midi, en est le lien physique, avec son prolongement jusqu’à Beaucaire.

Gageons que nos nouveaux élus ne manqueront pas de manifester efficacement leur intérêt pour ce patrimoine exceptionnel, œuvre d’un enfant du pays. L’effort attendu portera sur les volets technique, historique et culturel de la voie d’eau pour redonner au chef-d’œuvre la respectabilité historique et l’attractivité qu’il a perdues.

Pour réussir ce pari ambitieux, une cellule dédiée est souhaitable. Composée de représentants de toutes les parties concernées (VNF, région, départements, communes mouillées, utilisateurs, associations), elle aura pour tâche de fédérer toutes les bonnes volontés et de conduire une politique globale de gestion, de restauration et de dynamisation sur la totalité du linéaire du canal. Son action sera le prolongement, longtemps attendu, de l’engagement pris par l’équipe qui a établi et défendu le dossier d’inscription à l’Unesco.

Souhaitons que l’effort de la Région soit soutenu par l’attitude citoyenne respectueuse que l’on attend de tous ceux qui approchent, côtoient, fréquentent ou utilisent le canal.

Colbert voulait que le canal fût beau, solide, et d’une éternelle durée. Montrons-nous les dignes mainteneurs de cette voie historique. L’œuvre monumentale de Riquet mérite de redevenir le grand ouvrage patrimonial visible et envié de notre Languedoc..

J.-M. Sicard
THAU PATRIMOINE
extrait de www.thau-info.fr