CANAL DU MIDI : MARIN D EAU DOUCE – L'Officiel du Canal du Midi

CANAL DU MIDI : MARIN D EAU DOUCE

Trait d’union entre l’Atlantique et la Méditerranée, le canal du Midi, exploit d’ingénierie remontant au XVIIe siècle, est une voie rêvée pour ralentir, le temps d’une échappée au fil de l’eau.
Pas plus de 8 km/h. Pas la peine de s’énerver. Le canal du Midi, c’est l’éloge de la lenteur. Une fois qu’on a largué les amarres, on entre dans un autre espace-temps. On a tout le loisir de profiter du paysage. Je me prends à saluer les bateaux qui nous croisent, les cyclistes qui nous dépassent sur le chemin de halage et même les joggeurs qui ne doivent pas forcer pour s’éloigner d’une bonne petite foulée.

Le bateau, un Magnifique qui porte bien ses 14,50 mètres, n’est pas difficile à piloter, même pour un novice. Une fois mis en marche avec la clé de contact, le moteur ronronne comme un poisson-chat. Il se dirige à partir du pont ou depuis la cabine en fonction des conditions atmosphériques. Le gouvernail est semblable au volant d’un bus ou d’un camion. Les deux mains posées bien à plat, j’ai vite pris la main pour garder le cap et négocier les virages comme on conduit sa voiture. La manette de gaz permet une marche avant graduelle, le point mort et la marche arrière. Pour naviguer, il faut juste se mettre dans le tempo. Ce n’est pas sur un bateau qu’on braque au dernier moment : le mouvement est lent, donc si on veut tourner, il faut anticiper la réaction du bateau. S’il y a urgence, on peut toujours s’aider par un petit coup des propulseurs gauche ou droit.
Un des plus grands chantiers du XVIIe siècle

Le canal du Midi, qui relie l’Atlantique à la Méditerranée, dispose de plusieurs ports nautiques qui permettent de louer et d’y déposer un bateau. Avant de me confier la clé de l’embarcation, l’employé du loueur se fait un devoir de m’inculquer les rudiments de la navigation sur eau douce. Je tombe sur un grand gars nonchalant avec une mèche sur les yeux, juste au-dessus du sourire. Il m’explique le maniement des commandes, la bonne manière d’attacher les amarres en toute sécurité. Le temps d’une petite manœuvre dans le port – avant arrière, tourner à bâbord –, et vogue le Magnifique.
Je remonte le cours du temps jusqu’à la création du canal. J’accoste en 1681, Pierre-Paul Riquet lance la construction de ce qui sera l’un des plus grands chantiers du XVIIe siècle. Il durera quatorze ans et son génial concepteur n’en verra pas l’achèvement. Décisif pour l’expansion économique de la France, le canal a permis d’assurer le transport du vin, du blé et du textile en contournant la péninsule ibérique. Plus de trois siècles plus tard, les marchandises et les chalands de voyageurs ont laissé la place aux plaisanciers et aux amoureux de cette voie d’eau qui relie Toulouse à Sète en 240 paisibles kilomètres. Glisser sur l’eau à cette hauteur et à cette allure offre une traversée inédite du paysage. Aux gracieuses courbes dissimulées par les feuillages retombants des platanes se succèdent les lointains clochers et les étendues de vignes nombreuses au pays du corbières et du minervois. Le premier pont à franchir exige toute mon attention puis, l’assurance venue, j’admire la variété de ces ouvrages d’art qui pour la plupart remontent à la construction du canal. Instinctivement, je me surprends parfois à baisser la tête tellement la voûte du pont est basse, mais le bateau glisse comme une fleur. Plus spectaculaire, mais pas vraiment plus compliqué, arrive bien vite le franchissement des écluses. Il s’agit d’amarrer mon bateau à quai et de tenir fermement les amarres pendant que le bief se vide ou se remplit. À quatre sur le bateau, nous pouvons nous partager les tâches. C’est à moi de sauter sur le quai pour attacher le cordage. Comme on est dans le sens de la descente, on est presque à hauteur de quai mais, en revanche, quand l’écluse est basse, il faut trouver un escalier pour monter à quai ou demander un coup de main à l’éclusier.
De surprise en surprise

Les occasions de s’arrêter ne manquent pas, que ce soit pour profiter d’un point de vue, d’une bonne table, de la visite d’une collégiale ou des restes d’un oppidum romain surplombant le ruban du canal. Des villages comme Argens ont un petit port qui offre l’infrastructure minimale pour une étape où loger : alimentation électrique et équipement Wi-Fi. En contrebas du village dominé par le château, une forteresse cathare aux murs lisses et rectilignes se niche le Bar à Par, un bar à tapas tout en raffinement et simplicité. En occitan, les amuse-bouches se disent colhetas. Ils sont préparés par Catherine avec les produits frais de son potager : rillettes de sardines, radis poêlés ou bouchée de betteraves jaunes, sa cuisine est inventive. Pour le vin, je fais confiance à Jean, qui règne sur le domaine du Par et ses 12 hectares de vignes. Grand passionné de golf, il a décliné toute sa carte selon des noms empruntés à la pratique : le Tee-Shot, un vin blanc issu de cépages marsanne-sauvignon biologique au goût de pomme, le Practice, un rouge monotype à base de carignan, un cépage local qui intervient dans le corbières mais rarement osé en solo. Un repas bien sympathique et plus confortable que ce que permet la kitchenette du bateau. Semblable à celle qu’on peut trouver dans les spacieux mobile homes, elle est équipée d’une cuisinière à gaz parfaite pour réchauffer le porridge ou les œufs brouillés du matin.
Le Somail est un charmant hameau de quatre cents âmes qui a vu le jour avec l’ouvrage de Riquet. Son pont de pierres en dos d’âne à une arche en plein cintre, son ancienne glacière en forme de tour et surtout, pour les lecteurs impavides, sa librairie ancienne qui déborde de cinquante mille livres, revues et journaux. Y entrer sans ressortir lesté d’un bouquin ou deux relève du véritable exploit, tant le choix est large.

Peu avant Béziers, les sept écluses du site de Fonséranes se succèdent majestueusement. Véritable prouesse technique, elles ont permis à Riquet le franchissement d’une dénivellation de 21,50 mètres sur une longueur de 312 mètres. Comme tout au long du canal du Midi, les bassins présentent une forme ovoïde, en ballon de rugby dira-t-on pour faire couleur locale, un détail pensé par Riquet pour mieux répartir la pression des eaux.

Après quatre jours de croisière, c’est le moment de quitter le Magnifique. À quatre, sur un bateau prévu pour huit ou même dix, pas de risque de se marcher sur les tongs. Comme sur n’importe quel bateau, chaque centimètre carré est compté, c’est particulièrement vrai dans les deux cabines à l’avant, dotées chacune d’un lit qui se veut double, mais où les deux adultes qui vont y dormir se sentiront forcément assez proches. Par beau temps, il est bien sûr possible de dormir sur le pont, les étoiles ont beaucoup à raconter. Un vrai confort nomade.
Surplombant l’ancienne ville cathare, la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers est visible depuis Fonséranes. Avec son imposante tour carrée et ses murs crénelés, elle prend des allures de forteresse. Superbe exemple de gothique éclectique méditerranéen, elle est l’incarnation du caractère médiéval de la cité avec ses ruelles étroites et escarpées descendant vers le centre-ville où elles s’effacent devant les boulevards et les immeubles haussmanniens, témoins de l’âge d’or viticole du XIXe siècle.
Première ville romaine

Pour bénéficier de l’essor commercial du canal, d’autres ouvrages ont très vite été mis en chantier pour relier villes et villages à la voie principale. C’est ainsi que le canal de la Robine (roubine signifie « canal » en occitan), creusé dans l’ancien lit de l’Aude, rejoint le canal du Midi au-dessus de Le Somail via le canal de Jonction et l’écluse de Gailhousty.

Ville paisible traversée par le ruban de la Robine, Narbonne a été la première colonie importante en dehors de Rome et la première ville romaine de Gaule. Les témoignages de l’Antiquité y sont nombreux, à commencer par le très riche musée archéologique installé dans l’ancien palais des archevêques. Judicieusement placée en début de parcours, la salle des fresques vaut à elle seule le détour. Découvertes sur le site des villas du clos de la Lombarde, ces fresques troublantes sont les plus importantes retrouvées en dehors de l’Italie. Les amateurs d’antiquités peuvent poursuivre la visite pour y découvrir un ensemble impressionnant de statues et d’objets de la vie quotidienne de l’époque romaine. Ces collections devraient constituer le cœur du MuRéNa, futur musée de la Narbonne antique imaginé par Norman Foster et dont on annonce l’ouverture pour 2016.
À quelques centaines de mètres de là, je descends sous les pavés de la ville pour découvrir l’horreum et son réseau d’entrepôts souterrains de marchandises remontant à l’époque gallo-romaine. Au Ier siècle av. J.-C., on y stockait du grain, du vin et de l’huile, et sans doute des armes avant que, au cours des siècles qui ont suivi, les Narbonnais riverains ne le trouvent fort commode pour en faire leurs caves personnelles. Miraculeusement conservé dans sa quasi-intégralité, le site vaut le détour, pour peu qu’on ne soit pas claustrophobe. La cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur, dont le chantier s’est achevé prématurément en 1340 à cause de la guerre de Cent Ans, a gardé de nombreux témoignages des XIIIe et XIVe siècles, comme une belle brigade de gargouilles, des peintures murales ou un retable en bas-relief récemment découvert derrière une décoration du XVIIIe.

Inscrit depuis 1996 sur la liste du patrimoine de l’humanité de l’Unesco, le canal du Midi doit cette marque de reconnaissance à la vision de Pierre-Paul Riquet, mais aussi aux quarante-deux mille platanes plantés il y a cent cinquante ans qui lui apportent par les jeux de reflets cette délicate touche bucolique. Or, attaqués par le chancre coloré, un champignon contre lequel il n’existe aucun remède, les jours de ces arbres sont désormais comptés. Ils devront être abattus et brûlés sur place un à un avant d’être remplacés par des arbres sains. La chose est entendue, ils seront donc remplacés. Pourtant, sans ces platanes classés, le canal aurait retrouvé sa physionomie de l’époque de Riquet quand ils étaient bordés d’arbres fruitiers. Platanes ou fruitiers, le canal n’en perd pas sa boussole et maintient intact son pouvoir magnétique de nous soustraire au temps.
http://www.lesoir.be/797695/article/victoire/2015-02-18/canal-du-midi-marin-d-eau-douce
Texte Gilles Bechet. Photos DR.
Mis en ligne mercredi 18 février 2015, 10h08