Le canal du Midi, classé mais en danger … – L'Officiel du Canal du Midi

Le canal du Midi, classé mais en danger …


Pollution, manque d’entretien, champignon… Les problèmes s’accumulent le long du canal du Midi. Pourtant, cet ouvrage qui relie Toulouse à la Méditerranée depuis le XVIIe siècle vient à peine d’être classé au titre des sites et des paysages. La gestion de ce chef-d’œuvre architectural, destination prisée par les touristes qui visitent la France, oppose élus, acteurs économiques et administrations. Un véritable casse-tête pour ceux qui poursuivent pourtant tous le même but : sauver le canal.

Des papis au béret vissé sur le crâne, des mamans, des poussettes, des enfants à trottinettes, mais aussi des SDF aux visages usés qui regardent passer des promeneurs à vélo bien sapés. En plein mois d’octobre, au cœur de Toulouse, les bords du canal du Midi ont des allures estivales.

Perché sur un pont dans le quartier de Busca, Dominique, âgée d’une quarantaine d’années, se réjouit du paysage : « C’est beau hein ? Vous auriez vu en septembre, quand il y a les festivités du canal, il y a plein de péniches, et ils mettent des petites bougies sur l’eau. C’est tellement joli ! » Le petit Jules qui l’accompagne glapit de bonheur et approuve en bégayant. En apparence, la beauté du canal du Midi semble tenir ses promesses.

Tout le monde n’est pourtant pas de cet avis : « Faut arrêter, le canal c’est pas le monde des bisounours. » Le haussement de ton de Pierre Cardinale a fait ressortir son accent chantant du sud. Sur le bateau-restaurant l’Occitania, aux côtés de Valérie Piganiol, présidente du Club économique « Toulouse au fil de l’Ô », il dénonce un manque de vision collective pour entretenir ce canal qui relie Toulouse à la Méditerranée. Selon eux, les pollutions et le manque d’entretien menacent gravement ce patrimoine, pourtant classé à l’Unesco depuis 1996.

Un patrimoine menacé de déclassement

Un classement seulement officialisé pour le canal dans sa globalité le 26 septembre dernier, lors de la parution d’un décret signé de la main de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire. Vingt-et-un ans après donc.

« La faute au millefeuille territorial et à l’absence d’une entité administrative unique pour gérer le canal », décrit Pierre Cardinale. Car le canal des Deux-Mers, ce sont « cinq départements, des centaines de mairies, des dizaines de communautés de communes, et même deux préfets ». Et toute une ribambelle d’acteurs qui peinent à se mettre d’accord et manquent manifestement de moyens.

Les pistes cyclables du canal du Midi « c’est le périph’» chaque week-end selon Dominique, habitante du bord du canal. (Photo : Katel Andréani/Ouest France)
L’arrêté, enfin signé par l’État, n’est néanmoins pas une si bonne nouvelle que ça pour Valérie Piganiol, représente de « Toulouse au fil de l’Ô ». « C’est de la poudre aux yeux, lance-t-elle, visiblement agacée. C’est pour que les élus puissent dire, le jour où le canal sera déclassé : Voyez, on a fait tout ce que l’on a pu. »

Mais selon cette directrice d’hôtel situé au bord du canal, rien n’a été fait auparavant pour protéger ce patrimoine. Et pour elle, les politiques se réveillent seulement en vue de la future évaluation annoncée par l’Unesco sur le canal en 2019, qui pourrait entraîner le déclassement de cet ouvrage de 241 km.

Jusqu’à 3 000 € le mètre de piste cyclable

« Le problème majeur est que VNF [Voies navigables de France, l’établissement public en charge de l’entretien du réseau de voies fluviales en France, NdlR] n’a pas les moyens de réaliser des travaux sur le canal du Midi », explique Valérie Piganiol.

Valérie Piganiol, présidente du Club économique « Toulouse au fil de l’Ô ». (Photo : Katel Andréani/Ouest France)
Et pour cause, selon les chiffres avancés par le Club économique, un seul mètre de piste cyclable coûte jusqu’à 3 000 €, et il existe moins d’une personne par écluse pour s’occuper de l’entretien de ces ouvrages, là où deux et demie seraient nécessaires.

Pour Alain Chatillon, sénateur de la Haute-Garonne et également auteur d’un rapport sur le canal du Midi en 2012, l’ennui est aussi que VNF n’a pas les compétences pour être en charge d’un ouvrage comme le canal du Midi : « Ils sont spécialisés dans le transport, alors que nous privilégions les aspects touristique et patrimonial. Le canal du Midi ne nécessite pas la même gestion que les voies fluviales du reste de la France. »

Le chancre coloré, le fléau du canal

Les pollutions et l’entretien ne sont pas les seuls problèmes. Depuis 2006, un champignon microscopique, le chancre coloré, attaque les platanes qui bordent le canal et font l’identité de son paysage. Marie-Thérèse Delaunay, sous-préfète en charge du canal du Midi, a officialisé le retour du chancre coloré aux abords de Toulouse à la fin du mois de septembre, dans la ville de Castanet-Tolosan. Une vingtaine de platanes devraient être abattus prochainement dans la commune, et son cas est loin d’être isolé.

En 2016, 3 400 abattages de platanes ont été recensés, et début 2017, 17 730 platanes des 42 000 que compte le canal, avaient d’ores et déjà été arrachés pour être replanté au cours de ces onze dernières années. Pour un coût total de près de 200 millions d’euros.

À cause du chancre coloré, la ville de Castanet-Tolosan a déjà dû abattre huit platanes, et devrait en abattre une vingtaine en plus dans les prochains mois. (Photo : Katel Andréani/Ouest France)
Une véritable tragédie pour les communes concernées, dont le canal est un élément marquant de leur histoire et de leur paysage. Arnaud Lafon, maire de Castanet-Tolosan depuis bientôt dix-sept ans, regrette le manque d’investissement de l’État, et dit se sentir un peu seul à « mettre les mains dans le cambouis. Nous avons tous un devoir partagé dans l’entretien de ce canal. Mais cela fait longtemps que le dossier du canal du Midi est resté sur l’établi de l’État, et qu’il n’y a pas de travail de fond ».

Le responsable de la ville ne se dit pas hostile aujourd’hui à mettre la main à la poche : « Je sais que pour ma ville c’est une priorité. Ce n’est pas le cas de tous nos voisins. »

Vers une marque « Canal du Midi »

De son côté, Alain Chatillon dit s’occuper du dossier personnellement à Paris. « Je vois régulièrement Édouard Philippe, et je sais qu’il a une oreille attentive en ce qui concerne le canal du Midi. » Le sénateur, « passionné du canal », ne manque pas de propositions. Après plusieurs campagnes de mécénat, l’idée aujourd’hui d’une marque « Canal du Midi » – comme l’ont la tour Eiffel ou Versailles – est pour lui une bonne piste.

L’élu souhaite également créer une nouvelle entité, un fonds d’intérêt public dédié à cet ouvrage. Peu de chance d’ailleurs pour lui que le label de l’Unesco soit perdu dans un an : « Nous sommes en train d’élaborer une charte paysagère. » En collaboration avec la préfecture d’Occitanie, cette charte devrait définir quelles orientations suivre pour valoriser l’environnement et le patrimoine du canal du Midi.

L’écluse de la ville de Castanet-Tolosan, sur le canal du Midi. (Photo : Katel Andréani/Ouest France)
Malgré ces engagements, beaucoup des acteurs du canal semblent avoir perdu espoir. Pour les membres de « Toulouse au fil de l’Ô », le temps politique sera toujours cinq fois en retard sur les attentes et leurs besoins. Et même pour certains élus, comme Arnaud Lafon, il y aura toujours des blocages administratifs dans la gestion du canal, alors que plus de marge de manœuvre devrait être laissée aux communes.

Et malgré les premiers gestes réalisés par l’ex-ministre Ségolène Royal, et aujourd’hui Nicolas Hulot en faveur du canal, le maire de Castanet-Tolosan s’interroge : « Après la signature de ce décret qu’est-ce qu’il y a ? Un budget ? Ce qui est sûr, c’est que pour le moment on ne le voit pas. »

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